Le 1er août 1914, l’ordre de mobilisation générale est décrété en France. Tous les Français soumis aux obligations de la conscription universelle masculine en vigueur doivent donc quitter leur foyer et revêtir l’uniforme. Retour sur un processus d’une ampleur jusque-là inconnue.

 

Qui est mobilisé ?

 

Tous les Français soumis aux obligations militaires de la conscription. Au 1er août 1914, c’est la loi dite « des trois ans » qui en définit le cadre. L’année de ses 21 ans, chaque Français est appelé à faire son service dans l’armée active. Une fois accompli, le conscrit revient à la vie civile mais n’est pas délié de toute obligation militaire : il devient réserviste pour une période qui varie sous la IIIe République de 4 à 11 ans et demeure régulièrement soumis à des périodes d’exercice. Il peut être à tout moment mobilisé, c’est-à-dire être incorporé dans une unité d’active ou de réserve prête à partir en campagne.

 

La période de réserve terminée, le citoyen est versé dans l’armée territoriale. Celle-ci, en temps de guerre, est normalement employée à l’arrière du front et à l’intérieur du pays pour des tâches militaires qui ne relèvent pas du combat mais plutôt de la surveillance des bâtiments militaires et de l’organisation de l’effort matériel. En août 1914, les classes mobilisées s'étalent de 1896 à 1913 et représente 80% des individus concernés. Les hommes incorporés les plus âgés, sans compter les engagés volontaires, approchent donc des quarante ans. En Allemagne, l’organisation est à peu près similaire même si le régime de l’armée de réserve est plus complexe.

 

Aux premiers jours d’août, ce sont donc environ trois millions cinq cent mille Français et quatre millions d’Allemands qui sont mobilisés. Presque toute la population masculine adulte se retrouve ainsi sous les drapeaux. La supériorité démographique de l’Allemagne explique que, contrairement à la France, elle n’ait pas eu besoin de mobiliser immédiatement les presque dix millions d’hommes soumis aux obligations militaires.

 

Le trait commun à ces armées mobilisées tient surtout à la jeunesse de leurs unités d’active. Elles sont formées des hommes en train d’effectuer leur service militaire et des plus jeunes des réservistes, soit des hommes de 21 à 30 ans. Dans l’armée française, les unités de réserve sont censées rester en deuxième ligne. Personne n’imagine, pas même l’état-major, qu’elles auront à subir le feu. Au contraire, l’armée allemande compte mêler dès le début de la guerre unités d’active et unité de réserve afin de surprendre l’adversaire et de posséder une réelle supériorité de masse lors des premiers affrontements.

 

L’annonce de la mobilisation

 

La mobilisation générale est annoncée le 1er août 1914 dans l’après-midi : vers 16 heures en France, vers 17 heures en Allemagne. Mais selon la situation militaire, civile et géographique de chacun, l’annonce est dans les faits plus étirée dans le temps.

 

Depuis Paris, l’ordre de mobilisation a été télégraphié aux préfectures. Chaque commune, par le relais des maires, gendarmes, gardes-champêtres, doit alors informer la population et procéder à l’affichage de l’ordre. Mais l’apposition d’une simple affiche ne saurait suffire. En 1914, même dans les villes, les annonces officielles se diffusent la plupart du temps par leur proclamation dans l’espace public.

 

L’urgence de la mobilisation qui commence à minuit impose un prompt rassemblement des hommes pour annoncer au plus vite l’ordre de mobilisation. Pour alerter une population rurale en pleine moisson, dispersée dans des champs et des hameaux éloignés parfois de plusieurs kilomètres de la mairie, les autorités communales délivrent un message sonore d’alarme et font donc sonner le tocsin aux cloches des églises.

 

Avant même d’entendre l’ordre de mobilisation, les Français savent que le tocsin est synonyme de catastrophe. Tout au long du XIXe siècle, il a été la sonnerie de l’émeute et de la violence collective. De plus, les tensions diplomatiques de l’été, depuis quelques jours, préoccupent et les rumeurs prennent peu à peu forme qui, irriguant avec plus ou moins d’intensité villes et campagnes, commencent à agiter le spectre de la guerre.

 

L’appel du tambour redouble celui de la cloche. Le tambour est l’autre grande sonnerie collective du XIXe siècle. S’il n’a pas la même portée que la cloche, c’est lui qui appelle à écouter les annonces publiques lues sur la place du village. Instrument militaire qui ordonne le rassemblement armé et accompagne la montée au combat, le tambour annonce lui aussi la guerre. Ainsi vient-il compléter le paysage sonore de l’annonce de la mobilisation. Cloche religieuse et tambour civil sonnent tous deux un premier rite de passage et authentifient une solennité martiale qui précède la lecture de l’ordre.

 

Le départ des foyers

 

Rentré chez lui une fois l’ordre connu, chaque homme consulte son livret militaire. Dans celui-ci, il trouve les indications à suivre en cas de mobilisation, qu’il peut aller se faire expliquer à la mairie. Il s’agit dès lors de s’organiser pour rejoindre à la date demandée le lieu de stationnement de son régiment qu’il soit d’active, de réserve ou de territoriale. Les rassemblements sont échelonnés afin d’éviter de trop grands afflux sur les routes et les chemins de fer. Si les conscrits et les soldats de l’active sont déjà encasernés, les réservistes doivent rapidement s’adapter aux exigences militaires et à la préparation d’une campagne de guerre. Une fois tous les réservistes arrivés, les unités d’active peuvent partir pour leur zone de concentration, point de départ vers les lieux d’opérations choisis par l’état-major.

 

Ces déplacements de centaines de milliers d’hommes et de chevaux, accompagnés de leur matériel, nécessite une mobilisation sans précédent des chemins de fer. Au final, en France, 16 500 trains militaires circulent entre le 1er et le 20 août. Les lignes maritimes ont également été mobilisées pour les unités venus de Corse et d’Afrique du Nord. 38 000 hommes et 6 800 chevaux ont ainsi traversé la Méditerranée depuis l’Algérie et la Tunisie.

 

Le voyage en train vers la zone de concentration a constitué pour les soldats la deuxième expérience collective de la guerre. S’il a duré bien moins longtemps que le séjour en caserne, il a marqué fortement les esprits et son souvenir. Pour de nombreux soldats, il représente parfois le premier long voyage de leur vie : les Français de 1914 sont certes plus mobiles qu’un siècle auparavant, mais de très nombreux paysans ont conservé un horizon de vie géographique limité à leur « pays » ou à leur région, découverte lors de leur service militaire.

 

Malgré l’émotion et la tristesse de la séparation, les Français ont surtout manifesté une attitude pleine de sang-froid. Dans la résignation, entre la consternation et l’enthousiasme, ils ont le sentiment du devoir à accomplir dans l’obéissance à la loi.

 

Quand ils montent dans le train, les hommes ne savent pas où ils seront débarqués. Tous imaginent bien qu’il s’agit de l’Est, mais la localisation de leur zone de concentration est ignorée. La plupart se persuadent, comme la presse, que le conflit, s'il éclate, sera court.

À la mi-août, l’armée française est prête et se lance dans les premières grandes offensives. À la fin du mois, plusieurs dizaines de milliers de jeunes Français ont déjà trouvé la mort

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